vendredi 18 décembre 2020

INFERNOËL




Ça nous pendait au nez. Maintenant, ils ne nous confinent plus. Maintenant, ils nous couvrent-fument. Et puis, ils n’annulent pas Noël. Ils annulent tout, sauf Noël. Quelle riche idée, quelle résolution, quelle fête : on applaudit bien fort le petit robot et le gouvernement de désunion nationale du Révérend Père Castex. Des humains enfermés chez eux depuis combien de nuits et pour combien de jours. Des prisonniers solitaires lâchés pour un seul soir, une seule nuit, sans contraintes et sans limites. Ça va être joli. Ce n’est plus Noël, à ce niveau de perversité, consciente ou inconsciente. C’est Carnaval. Lors des fêtes carnavalesques, traditionnelles, lorsque l’ours sort de sa grotte et pète un grand coup, les morts ressortent de leurs tombes et dansent avec les vivants, avant de retourner dans l’autre monde. C’est la Mesnie Hellequin, qui avait terrifié un jeune prêtre de Bonneval, Walchelin, en 1091. Une procession nocturne des morts, menée par le futur Arlequin de la commedia dell’arte. Tous les morts s’amusent, séduisent les vivants, rient, boivent et baisent comme des dingues. Et puis, au petit matin, ils rentrent chez eux. Le petit robot a ressuscité Hellequin, mais à l’envers. Parce que cette fois-ci, les morts, c’est nous. Nous sommes ceux qui avons vécu toute l’année dans la mort et qui allons ressortir comme des zombies pour arpenter les villes avant de retourner dans le monde du couvre-feu. C’est-à-dire cette antichambre de la mort qu’est devenue notre vie. 

 

Sans moi. Moi, ce Noël, je me confine. Je remets mon chapeau, je veux dire mon couvre-feu. Cette nuit de débauches que le Révérend Père Castex nous offre comme la cigarette du condamné, je n’en veux pas. J’adore fumer, mais, si j’étais condamné à mort, j’arrêterais de fumer. Ne serait-ce que pour ne devoir aucun plaisir à mes bourreaux. Le découvre-feu du Père Noël : non merci. Si on pouvait donner son « ticket de sortie » non-employé pour le soir de Noël à quelqu’un, comme le billet d’un concert où on sait qu’on n’ira pas, je l’offrirais volontiers à un prisonnier politique. Qu’il en profite pour essayer de fuir... Depuis le temps que je souhaite qu’on abolisse cette fête atroce. Voilà qu’on abolit tout sauf cette fête. Merci Papa Noël. Ça en dit beaucoup sur le sérieux de ce républicanisme dont le petit robot, à la suite de Hollande et de Valls, nous rabat les oreilles. Allah non ; Santa oui. La laïcité : bla-bla. Voltaire : bla-bla. Les lumières : bla-bla. Charlie : bla-bla. « Je suis bla-bla » ! Si j’avais un Hebdo, je mettrais en couverture une image inspirée de celle de Gébé à la mort de Pompidou : une gueule de Père Noël barrée, avec comme commentaire : « Plus jamais ça ! » 




Déjà l’année dernière, Noël sentait la mort. Après un an de Gilets Jaunes réprimés à grands coups d’yeux crevés, il y a quand même eu la grève des cheminots. Le petit robot avait placé la réforme des retraites juste avant les fêtes. Il se disait que ça passerait, le salopard. Il s’était pris une grève des cheminots dans la gueule. Puis il avait chouiné en demandant la trêve de la grève pour Noël. Il ne l’avait pas eue. La grève avait gagné sur la trêve : c’était justice. Là, en grand seigneur de l’injustice, le petit robot fait la trêve de son couvre-feu pour Noël. Toujours cette fête à la con. Au fond, ça doit être sa religion, Noël, au petit robot. Plus encore que Giscard, Sarkozy ou Louis XVI, le Père Noël doit être un des modèles à partir desquels on a gravé sa carte de comportement. Une des figures à partir desquelles Brigipetto a bricolé son petit Macronnochio. Ça expliquerait pas mal de choses. 



 


Le Noël moderne, c’est une fête dont la coutume unique consiste à raconter un mensonge à un gosse. C’est tout. C’est un rituel d’apprentissage pour entrer dans un monde de déloyauté extrême où l’on découvre que même nos parents sont capables de nous mentir sciemment pendant des années. C’est le rituel d’apprentissage pour faire partie d’un monde dont l’équilibre réside dans le fait que ceux à qui on a menti mentiront à leur tour. C’est l’allégorie d’un monde où les enfants sont dupés et, en grandissant, deviennent dupeurs. C’est le symbole de notre servitude éternelle aux dieux du mensonge et de la manipulation. On ne sera jamais libre tant qu’on n’aura pas effacé jusqu’au souvenir de Noël de cette Terre. 

 

La découverte de la non-existence du Père Noël est le traumatisme principal des vies ordinaires des enfants ordinaires. Ça me fait penser à une chanson des Satellites que j'aimais bien, « Les idées faciles d'accès » : « Et si on racontait aux enfants que, dans les bois, la nuit, le loup les attend ? Si on leur racontait des conneries ? Et si on les faisait un peu flipper ? » Et si on leur racontait que le Père Noël leur offrait des cadeaux ? Si on leur racontait des conneries ? C’est au point où la plupart de mes amis ne se souviennent même plus du moment où ils ont découvert que le Père Noël n’existait pas. Moi, je m’en souviens très bien. Je m’en souviendrai toujours. C’était dans la première moitié des années 1980. J’étais chez ma meilleure amie d’enfance, Marie, dans l’appartement baroque-moderne de ses parents : avec ses murs noir et argent, son lit dans une grotte en hauteur, nos espaces de jeu dans la cave où son père faisait de la musique, pleine de coins et recoins, des stocks d’habits excentriques et des boîtes de maquillage, comme les coulisses et les loges d’un théâtre. Nous étions trois, je crois, avec Cédric. Et Marie, Cédric et moi avons confronté nos doutes liés à des observations : les cadeaux maladroitement déposés par un parent, une parole entendue à la volée, etc. Trois petits détectives : « The Fearless Three » ! Nous en parlions tout bas, comme si nous faisions quelque chose de vraiment très mal.

– Alors le Père Noël n’existe pas ?

– Non. C’est des conneries. 

– Mais alors c’est qui ? 

– Le Père Noël ? C’est nos parents. 

– Mais non mais OK, tu as raison. C’est eux. 

– Je les confronterai ce soir. 

– Moi aussi. 

– Moi aussi. Courage !

– Oui… On en aura le cœur net. 

 

Je revois la confrontation avec mes parents en fin d’après-midi. Leur aveu immédiat, presque soulagés. Mais ce n’était pas fini pour autant. Après, l’enfer, pour moi comme pour mes petits copains, ça aura été de garder le secret. Il ne fallait surtout pas répéter que le Père Noël n’existe pas à l’école. Parce que, vous comprenez, il y en a qui y croient encore. Et c’est d’ailleurs l’excuse que donnent les parents pour mentir à leurs enfants. Si jamais un ou plusieurs enfants à l’école savent que le Père Noël n’existe pas, ils risquent de le répéter aux autres, et, très vite, ce serait le bordel, le mensonge ne marcherait plus. Non seulement on se sera fait mentir à la gueule pendant une dizaine d’années, mais ensuite il faudra mentir à notre tour à nos enfants, et ils mentiront à leurs enfants, et aux enfants de leurs enfants… C’était bien la peine d’en finir avec le christianisme pour perpétuer le culte du Père Noël. Non mais sérieux : pourquoi ? Sur quoi réside la nécessité de mentir au sujet du Père Noël ?



 


Je crois que la raison est plus profonde que le respect d’une vieille légende. Le respect d’une légende pas si vieille, d’ailleurs. Le respect d’une légende manufacturée ; une légende aux origines traçables ; une légende qui n’existe pas depuis si longtemps. Certes, le personnage est une synthèse de vieux mythes et de vieilles divinités crevées : Thor, Odin, Gargan, Nicolas de Myre, Julenisse, etc. Mais la forme dans laquelle il s’est imposé, avec sa gueule de vieux hollandais rigolard, est intrinsèquement liée aux États-Unis, à l’imaginaire américain, donc au déploiement du capitalisme comme horizon indépassable des possibilités humaines. Le nom lui-même n’était pas employé en France avant le milieu du XIXe siècle. L’accord tacite sur la perpétuation du mensonge concernant l’existence du Père Noël est intrinsèquement lié à la perpétuation du mensonge du capitalisme : à savoir l’accumulation des richesses comme condition du bonheur. Le capitalisme comme producteur de richesses. Et nous le savons. 

 

Nous le savons. Et nous savons que, si nous le voulions, nous pourrions tout changer. Nous savons que, si nous faisions un effort, nous pourrions en finir avec cette mascarade. Français, encore un effort ! La clé de notre émancipation ne réside pas dans le fait de ne pas croire au Père Noël. Elle réside dans le fait de cesser de le faire croire aux autres. La clé de notre émancipation ne réside pas dans le fait de ne pas croire aux vertus du capitalisme. Elle réside dans le fait de cesser de faire comme s’il avait encore un avenir qui ne soit pas une pandémie de pauvreté. Le capitalisme ne se survit à lui-même que comme un mauvais rêve dans lequel nous continuons à vivre alors que nous savons qu’il ne se maintient que par la force, la violence et le mensonge. Le capitalisme n’est plus désormais qu’une prison mondiale, engendrant massivement des maladies et de la misère. Les temps barbares reviennent. Et nous le savons. La clé de notre libération réside dans le fait d'arrêter de mentir. Les dormeurs doivent se réveiller. 



 


Merci à Placid pour les images de Thomas Nast

19 commentaires:

  1. Encore un texte parfait ! Ton allégorie "Brigipetto" m'a tué de rire !Quand on se reverra je te raconterai pourquoi je n'ai jamais cru au Père Noël et pourquoi cela m'a valu tout l'ostracisme scolaire du CP au Collège. C'est dingue ce pouvoir qu'ont le gens de se libérer et de perpétuer une servitude à leurs proches, un mystère pour moi.

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    1. Ah je veux bien entendre cette histoire. Je trouve qu'on ne parle pas assez de ce moment "formateur" (comme qui dirait) : la découverte du mensonge collectif concernant l'existence du Père Noël.

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  2. Merci pour ce moment (comme dirait Valérie). Et aussi pour m'avoir permis de découvrir une chanson de ces bons vieux Satellites que je ne connaissais pas, certainement que je devais être resté dans les bois, déguisé en renard...

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    1. Héhé. Il y a un dialogue sur ce qu'est un "moment" dans l'épisode de Watchmen sur l'histoire d'amour entre Dr. Manhattan et Angela. Angela essaie d'expliquer le "moment" à Manhattan... Je ne sais pas si on peut comparer Hollande à Manhattan... Pour les Satellites, my pleasure. Le quatrième album est moins connu et a un son très différent, beaucoup moins stax-punk, mais certaines de ses chansons sont restées inscrites dans ma mémoire et ressurgissent quand je ne m'y attends pas...

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  3. hello je partage que ce Noel concumériste n' a rien à nous apporter
    par contre osons fêter le solstice d'hiver le 21 12 : il symbolise la victoire de la lumière sur les tènébres , l'hiver est bien venu mais le cycle des saisons joue toujours : c'est le début de la fin pour la plandémie , le retour de Karma arrive...
    Bonne fête de la Lumière à tous

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  4. Excellent texte Pacôme ! mais le dessinateur – américain – de Santa Claus, c'est Thomas Nast ; or tu nous montres un dessin de Sir John Tenniel, de Punch magazine, complice devant l'éternel de Lewis Caroll pour Alice…

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    1. Merci beaucoup Placid ! Et oui: tu as raison pour Nast et Tenniel. Je vais changer ceci. Poor Sir John !

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  5. Merveilleux....
    Mes parents ne m'ont jamais dit que c'était le père Noël qui apportaient les cadeaux...et je savais ...car je l'avais surprise à descendre la peluche de Nestor le Pingouin ..que c'était Mum qui officiait discrètement. De toute façon mes parents étaient catholiques pratiquant, alors c'était la naissance du Christ qui était célébré chez nous ...l'enfance en fait...la vie ...c'était intime et joyeux...alors le bonhomme rouge ...oui c'est un symbole de quelque chose qui s'accroche et s'accroche...et n'en finit pas avec des cadeaux tout pourris...il est à parier que pour beaucoup d'entre nous ce cirque faussement joyeux avec ce fantôme rouge diaboliquement bonhomme se tarira plus vite que prévu...la source est tarie

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    1. Je crois bien que nous sommes d'accord pour dire que tous les Noëls depuis des décennies sont dignes du Splendid , un truc pourri qui se fait passer pour une fête joyeuse ...

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  6. J'attends désormais mon email du vendredi matin comme j'attendais, enfant, le matin du 25 décembre. Il faut croire qu'avec l'âge mes yeux se décillent et je cherche une vérité plutôt qu'une fable

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  7. Très fort, superbe texte Pacôme. Merci.

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  8. nOËL c'est du collagène pour les vieux.

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  9. Oui, c'est exactement ça. Le point n'est pas qu'on nous ait menti, mais qu'on nous ait appris à mentir. Mes parents étaient des gens admirables, et pourtant ce truc : bien sûr que le père noël n'existe pas, mais ne le dis pas à tes camarades, ça leur ferait de la peine. Et pourtant tout est là : le père noël et le capitalisme ne survivraient pas à quinze secondes d'honnêteté collective. Tout ce qu'on a à faire, c'est ne pas transmettre un mensonge. Dont on sait qu'il s'agit d'un mensonge. On sait que voter Machin pour faire barrage à Truc est une arnaque. On sait que ces gens sont des monstres, chacun d'entre eux. Tout ce qu'on a à faire, c'est arrêter de croire en eux. Et passer le message à nos enfants ou ceux des autres. Le jour où tout le monde cessera de croire en lui, le capitalisme mourra, comme le chien qu'il est, à quatre pattes et en suppliant qu'on l'aime, ou au pire qu'on lui accorde l'honneur de le tuer. Qu'on lui refusera, comme Dean à Dieu.

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  10. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

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  11. La vie des bêtes. Je suis de celles qui font leurs courses tardivement le soir pour des raisons irréductibles liées à une vie privée en commun, et excepté cela j'ignore si je dois raconter mes galères domestiques conflictuelles avec la situation urbaine dès que masquée je mets les pieds dehors en quête de ressources "essentielles" pour tous, ni l'incertitude de mes pas déséquilibrés sous la vision de mes lunettes embuées, poussant dans la nuit un caddy (à quatre roues) d'une main et retenant une canimale qui tire sur sa laisse de l'autre, ni au retour la chute de la serviable provoquée par la brutalité de l'accueil d'un de ses multiples félins se précipitant dans la rue, jaloux de ne pouvoir sortir à l'instar de la canine indomptable qui vient d'être lâchée telle une flèche rentrant dans la maison, (après des modifications "architecturales" on n'entre plus chez nous par l'entrée de l'immeuble collectif sur rue, mais directement chez nous au rez-de-chaussée depuis la rue -- je dis ça, c'est pour donner à comprendre l'imbroglio qui m'a fichue par terre (épaule luxée et trois côtes cassées), et pourquoi les multiples animaux familiers qui avec leur descendance compilent plusieurs décennies de notre vie la compliquent particulièrement, en ce temps pandémique des ménagères où il ne fait bon ni laisser un chien dehors ni faire revenir les chats dans la ménagerie... Mais je vous l'ai raconté quad même, pour dire à quel point l'effort de partir en quête d'approvisionnement "essentiel" dans la superette du coin peut devenir une épreuve épuisante voir incapacitante, quand après avoir affronté la porte close de la boutique qui le jour d'avant s'ouvrait toute seule devant vous à 9 heures du soir on rentre forcément bredouille à 8 heures, car les trajets des employés n'échappant pas au nouveau couvre-feu c'est à 8h moins le quart que lesdits ont fermé... Alors :
    "Ça nous pendait au nez. Maintenant, ils ne nous confinent plus. Maintenant, ils nous couvrent-fument. Et puis, ils n’annulent pas Noël. Ils annulent tout, sauf Noël. Quelle riche idée, quelle résolution, quelle fête : on applaudit bien fort le petit robot et le gouvernement de désunion nationale du Révérend Père Castex. Des humains enfermés chez eux depuis combien de nuits et pour combien de jours. Des prisonniers solitaires lâchés pour un seul soir, une seule nuit, sans contraintes et sans limites. Ça va être joli. Ce n’est plus Noël, à ce niveau de perversité, consciente ou inconsciente. C’est Carnaval. (...)"...
    A lire la suite où les jeux de situation et le chaos des mythologies se déroulent en serpentins aléatoires auto-référents et entremêlés avec une implacable exactitude. Roboratif en plus de Jubilatoire... Génial -- comme d'hab !
    Merci Pacôme !

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  12. Au moins cette année on ne sera pas obligés de claquer la bise à tout le monde en se souhaitant une bonne année et surtout une bonne santé en échangeant des postillons chargés d'effluves alcoolisées.
    Tout n'est donc pas négatif, et haut les cœurs.

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  13. Merci ! J'ai beau avoir beaucoup réfléchi sur le sens mythique du père noël (notamment grâce à l'essai de Levi-Strauss "Le père noël supplicié"), jusqu'à présent m'avait échappé cette idée simple et fulgurante : maintenir le mensonge de l'existence du père noël, c'est maintenir le mensonge de toute la société capitaliste, qui te fait miroiter des cadeaux si tu es sage, et le bonheur dans l'accumulation.
    Par ailleurs, merci subsidiaire, je viens de réécouter pour la première fois depuis longtemps "les idées faciles d'accès" et j'y puise une autre vérité sur notre temps que je ne cherchais pas : "Et si le soir, dans les concerts/On attrapait la grippe en sautant en l'air ?"

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  14. Merci pour la référence à l'essai de Lévi-Strauss :)

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